• Pages 6 à 11 : Interview piratesques : Blackjack ou 62 raisons de frémir


    Ma dernière visite à l’Auberge du Cheval Blanc avait été des plus agréables et Tom m’avait gentiment proposé d’y accueillir mes interviewés en cas de besoin. Et justement j’y avais donné rendez-vous à Blackjack, un pirate dont le seul pseudo me faisait frémir…


    Tom : Salut, petiote ! Dis-moi, tu m’as amené un drôle de numéro ! Tu devrais faire gaffe à tes fréquentations ! Je l’ai mis dans la petite salle du fond, histoire qu’il ne fasse pas peur à la clientèle, on a déjà assez de soucis en ce moment.

    Bouche Dorée : Ah ? Qu’est-ce qu’il a, Blackjack ? Sa lettre était plutôt sympathique.

    J’étais impatiente de voir la frimousse d’un gars susceptible d’impressionner la clientèle de Tom. Celui-ci entrouvrit la porte ; un pirate se tenait devant l’âtre…

    BD : Peste !

    Tom : Je laisse la porte entrebâillée, petiote, si tu as besoin d’aide tu cries !

    Blackjack était manifestement un pirate qui avait baroudé sur tous les océans du globe et peut-être même sur des terres infertiles connues du Diable seul. Vêtu de cuir noir de sa tête soigneusement rasée à des bottes éculées, arborant des tatouages aux teintes vertes et bleues qui représentaient tous des animaux (dont un petit canard rose qui détonnait), il portait aux côtés une flamberge dûment éraillée. Mais quand on considérait la taille de ses poings, on doutait qu’il eût besoin de se servir d’une arme pour faire entendre raison. L’échine parcourue d’un frisson, je reculais prudemment lorsque le couinement de la porte me trahit.

    Blackjack : Ah ah !

    Et en plus le rustre devait s’exprimer par onomatopées rugueuses en pensant trop en dire…

    B : Bonjour, gentille demoiselle ! J’avais hâte de te rencontrer, prends place près de moi, puis-je t’offrir quelque chose pour accompagner cette conversation qui sera des plus agréables ?

    Comment une telle baraque pouvait avoir voix si douce et verbe si fleuri ?

    B : Eh, c’est que je n’ai pas toujours été pirate. Je fus un moinillon et connus les délices de la bibliothèque de Haute-Helvétie, j’étais chargé des enluminures et ce que je découvris dans les pages me donna le goût des voyages. Et puis, trop hardi et trop vif étais-je pour la prêtrise, sans parler du vœu de chasteté qui m’affligeait. J’ai embarqué sur le premier navire qui a bien voulu de moi, me suis rendu indispensable auprès du capitaine car je me débrouillais aussi avec les chiffres, et quand celui-ci a succombé pendu sur la place, je lui ai prise, sa place ! Et changé de matelots, ceux-là étaient trop grossiers, voire malsonnants ; le métier de pirate est déjà assez pénible ainsi pour ne pas s’infliger en sus la compagnie de rustauds. Seuls les bons compagnons sont admis au bord de l’Apocalypse Love.

    Sa déclaration fut interrompue par un feulement sauvage… cela venait d’un recoin sombre de la pièce… je sortis mon fouet pour mater le tigre qui devait accompagner Blackjack et tentai de le faire claquer comme Whynot me l’avait appris… aïe…

    B : Allons, laisse-moi panser cette égratignure, il ne faut pas se servir d’un fouet quand on est si maladroite. Et puis Choupinette n’est pas si redoutable ! Viens rugir ici, ma belle, montre tes crocs redoutables, viens, ma minette…

    Une adorable petite chatte grimpa sur les genoux de son maître et ronronna à l’unisson de sa belle voix grave.

    B : Je l’ai trouvée dans un port, au gré d’une escale, attachée à un madrier, comme une écaille de tortue, visiblement abandonnée lâchement par son ancien maître... Celui-là, si je le trouvais ! La pauvre était toute maigre et visiblement cela faisait plusieurs jours qu'elle était là. Je l'ai recueillie et on ne se quitte plus depuis. Quelque temps après, elle s'est prise la patte arrière dans un piège à renard lors d'une de ses escapades nocturnes. Là encore, j'ai réussi à la sauver d'une mort certaine... Depuis, elle se ballade à bord et c'est à peine si on remarque sa patte manquante. Elle est devenue officiellement mascotte de notre vaisseau et gare au plaisantin qui voudrait lui confectionner une patte en bois !

    Si tous les matelots étaient de l’acabit de leur patron, les vaisseaux ennemis n’avaient qu’à bien se tenir, l’Apocalypse-Love avait-il d’ailleurs connu une seule défaite ?

    B : Pas une, plusieurs, et la plus fameuse, si tu veux bien, je m’en vais te la conter.
    Nous voguions en début de soirée, les voiles de l'Apocalypse-Love gonflées par une brise légère. J'avais réuni mes braves matelots à l'arrière du bateau pour profiter des derniers rayons du soleil couchant et leur faire un peu de lecture...
    A peine la leçon commencée, POUM !! voilà-t-il pas qu'un boulet venu d'on ne sait où fracassa le gouvernail fraîchement repeint !
    - Qui ose ? s'écria l'équipage comme un seul homme.
    - Coucou, c'est nous ! nous renvoya l'écho.
    - Nous qui ? me hasardais-je à hurler par dessus bord.
    - Les filles sanguinaires de la Lune Funèbre pour vous servir et vous envoyer par le fond. N'ayez crainte, nous prierons pour que vos âmes damnées voguent paisiblement jusqu'aux portes de l'Enfer.

    - Fichtre ! Diantre ! Elles.... ici !
    Il faut dire que la réputation de BlackDiamond, Lady_Rogue et Krolicker les avait précédée : certaines rumeurs sur l'île faisaient état de leurs méthodes de torture qui confinaient au raffinement. L'apologie de la douleur n'avait plus de secret pour elles. Et leur principale victime était l'armurier !
    Pas étonnant donc que chacun de leurs boulets fasse mouche !
    - Et bien gentes dames, que me vaut l'honneur de votre visite intempestive ? N'êtes-vous donc point harassées par une dure journée de labeur ? Ou bien êtes-vous à la recherche d'un galant gentleman pour vos agapes nocturnes ?
    - Du tout, me répondirent-elles en chœur. Présentement, c'est juste pour le plaisir de voir sombrer votre rafiot de pacotille et égratigner votre amour-propre...!
    - Rien ne vous empêche d'essayer très chères, à vos risques et périls. Sachez cependant que le tribut à payer sera lourd !
    Trois coups de canons et déjà la plupart de mes moussaillons écopaient l'eau qui montait dangereusement à fond de cale (rapport aux boulets dorés escroqués de la plus vile des façons à ce pauvre armurier). Je me rendis compte d'une chose terrible : nous n'avions pas de canot de sauvetage ! Mon désarroi dut se lire sur mon visage car Lady_Rogue me demanda:
    -Avez-vous peur de l'eau, très cher, ou bien ne savez-vous point nager ? Pourtant, cette mer turquoise m'a l'air bien accueillante...!
    Non seulement elles étaient charmantes, mais elles maniaient la langue de Molière de façon aussi redoutable que leurs canons ! Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, je leurs expliquai la raison de ma mine contrite.
    - C'est donc ce petit détail qui vous turlupine, cher Blackjack ? me lança BlackDiamond d'un air hautain. C'est votre jour de chance et mon jour de bonté, j'ai dans ma réserve un stock de bouées que j'avais achetées au troc du village et dont je n'ai point l'usage...

    Aussitôt dit, aussitôt fait ! Quelle ne fut pas ma stupeur de voir que lesdites bouées étaient en forme de canard, rose de surcroît !! Tant pis, on fera avec...
    Nous fûmes recueillis par un navire marchand, mon équipage et moi. Arrivés au port dans la soirée, nous avons été reçus par une salve de rires : les bougresses nous avaient devancés et s'étaient empressées de raconter la bonne blague dont nous étions les victimes à qui voulait l'entendre !
    C'était il y a longtemps et j'ai pris cet incident avec philosophie tout en gardant au fond de moi une vengeance qui ne tarda pas à se concrétiser. Mais ceci est une autre histoire...

    J’avais hâte de l’entendre ! Il y avait longtemps que je n’avais pas passé un si bon moment en compagnie d’un pirate et, oserais-je l’avouer, j’aurais bien volontiers changé d’équipage séance tenante pour le plaisir des lectures du soir de Blackjack… mais les histoires d’Undomiel me retinrent à bord de l’Ange de la Mort. L’Ange de la Mort, ça, c’est un beau nom pour un navire pirate ; l’Apocalypse-Love, ça ferait plutôt pouffer l’adversaire, non ?

    B : Que nenni très chère ! Le nom de mon vaisseau vient d'une triste histoire d'amour qui s'est mal finie avec une flibustière. S’il prête à rire, combien de marins, combien de capitaines qui sont partis joyeux pour des courses lointaines contre ce vaillant équipage sont repartis vers la berge la plus proche à la nage et sanglotants ? Tous les marins à bord en sont fiers et me le prouvent chaque jour !

    Encore une histoire en suspens… m’est avis que je n’avais pas fini de fréquenter le terrible Blackjack aux tatouages éblouissants ! Tom remarqua mon émerveillement juvénile.

    Tom : Sais-tu, petiote, que je suis expert dans l’art de peindre les corps… et que je te fais le tatouage de ton choix si tu m’aides pour une question d’ordre, hum, privée, hem, vois-tu, il y a une jeune piratesse qui m’entreprend et, bref, quoi, des chocolats ou des fleurs, vous autres jolies filles, vous aimez quoi ?

    BD : Si c’est celle à qui je pense, Tom, des narcisses blancs seraient parfaits. Et pour mon tatouage, voici ce que je voudrais… psitt psitt psitt…

    Tom : Pas de souci, reviens demain ! File maintenant, Galinette s’inquiète et sonde le port quand tu rentres tard.

    Je filai donc, non sans remarquer que Tom offrait une tournée à Blackjack en lui demandant la suite de ses aventures. Les verres n’avaient pas fini de s’entrechoquer à la Taverne du Cheval Blanc… m’en fiche, il n’y avait pas qu’avec Tom que j’avais rendez-vous le lendemain, il fallait que je montre à Blackjack le tatouage qu’il m’avait inspiré…

    Bouche Dorée

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