• Pages 6 à 10 : Rencontres Piratesques : Blackie


    Comme à chaque fois où je faisais irruption dans sa taverne avec mes airs de pirate défaite, Blackie m’emmena sans me poser de questions dans sa salle secrète, réservée soit aux cas désespérés soit aux amis fidèles. Je vous ai déjà parlé de Blackie ? Je vous ai bassiné avec ? Ah, bon… C’est quand même ma sœur de la côte, cette grande perche aux cheveux en broussaille, vêtue de noir de la pointe de sa chevelure d’ébène à ses bottes incarnats qui ne jurent pas avec sa veste cramoisie, et c’est elle qui m’a définitivement (ou quasi, on va pas chipoter non plus) dégoûtée de la boisson, rien de pire que de rouler sous la table quand votre compagnon reste parfaitement (ou pas loin) sobre et assis (et un brin moqueur).

    Et la salle secrète de la Taverne des Fées, vous la connaissez ? Hé hé, je le savais ! Imaginez une grotte truffée de cavités où brûlent des bougies qui semblent ne jamais s’éteindre, diffusant une lumière douce et irréelle. Au centre, un brasier creusé dans la pierre, la fumée et la chaleur glissent par des souterrains creusés quelques pieds plus bas (je ne vous raconte pas les inventions délirantes de Blackie, celle-là fonctionne, au moins). Et le top du top, c’est qu’on s’allonge sur des peaux de mammouths ou qu’on s’appuie sur des coussins de plume de dodos et que la chaleur vous engourdit par le sol ! Quant aux liqueurs qu’elle vous sert, pfiou…

    Blackie : Mille diou, te voilà bien songeuse !

    Bouche Dorée : Il y a de quoi, je suis encore à court de pirates à interviewer.

    Deux mots pour en finir avec Blackie, elle a le don de se dédoubler, tu la crois en mer en train de canonner des navires qui jaugent le triple du sien (toujours pas compris si c’était de l’inconscience ou une bravoure héroïque) et quand tu accostes la voilà en train de servir des remontants aux malheureux qu’elle vient de couler. Il y a forcément un truc…

    BD : C’est vrai, ça, tu fais comment ? Vaudou ? Incantations ?

    B : Par les grandes voiles de Carthagène, te voilà bien indiscrète... ! Vide-moi encore ce verre, nom d’un mérou... Détends-toi un peu, tu m’as l’air complètement vidée, nom d’un cabestan... Après, nous parlerons... Ainsi, tu as jeté ton dévolu sur moi pour être décortiquée pour ta feuille de chou, sabre de diou... ! On fait un petit marché... Je veux bien passer sur la sellette, mais il va falloir payer un peu de ta personne... Je m’explique... Nous allons vider quelques barriques de ce bon vieux rhum ensemble, frangine... Je le réserve seulement aux grandes occasions, par la grande barbe de Belzébuth... Cela nous rendra l’esprit clair... Mais bois donc…

    Et me voilà embarquée dans le jeu favori de Blackie qui consiste à noyer le poisson dans une barrique de rhum bien profonde, tant et si bien que vous finissez par oublier la raison pour laquelle vous êtes venue. Du même coup, vous perdez vos repères spatio-temporels, au moment même où vous franchissez le seuil de son antre – n’ayez crainte, elle saura vous guider vers votre bourse le moment venu. Mais cette fois, elle ne parviendra pas à ses fins, depuis que j’ai arrêté de boire, ma résistance et mon entêtement sont sans limite. Après cette bonne petite cuvée, je pose à nouveau la fameuse question à cette bougresse de Blackie.

    BD : Alors comment mais-tu ? Dauvou ? Ankintation ?

    B : Je vois que ton esprit s’éclaircit, mille boulets… Hé Hé… Sois attentive, je vais te dire ce que je n’ai jamais dit à personne, nom d’un bouton de manchette… Bois…

    BD : Je t’écooouuute.

    B : Il était une fois, mille boulets, un ‘pitaine qui s’appelait « Courage »… Tu sais celui qu’on voit écumer les Tavernes du vieux port… Bois celui-là pour rester attentive, nom d’un cacatoès… Je disais donc le ‘pitaine Courage, celui qui est rongé par les superstitions… J’ai fait une ou deux campagnes avec lui, autrefois, quand je portais encore mes culottes courtes de corsaire… Il avait pour habitude avant un combat d’enfiler sa chemise rouge, et à chaque fois, c’était un combat gagnant… Cette chemise rouge était devenue un vrai mystère, même pour ses propres marins… Je me souviens du jour où son second lui demanda la petite histoire de cette chemise… Le fier officier lui répondit ceci : « Si je suis blessé pendant l’assaut, mes hommes ne s’en apercevront pas et conserveront donc leur ardeur au combat… » Allez, avale, frangine… Je perce la deuxième barrique… Parler m’assoiffe, par les grandes moustaches de Saint Eustache…

    BD : Je ne peux pas te refuser, Blackie, pour sûr !

    B : Pour sûr, mille diou, un marché est un marché ! J’ai trouvé cela ridicule et surtout risible, nom d’une moule farcie… Je me suis alors juré de ne jamais tomber dans des superstitions à ce point, mille tonnerres… Car tu vois où cela l’a mené… Il a fini par avoir peur de son ombre, le jour où son second s’est fait la malle avec sa jolie chemise… À la tienne, ma petite Bouche Dorée ! On raconte même que le lendemain de cette trahison, devant le nombre impressionnant de navires ennemis se présentant à lui, sûrs de sa défaite, il aurait déclaré, complètement abattu, sur une note de défaitisme : « Qu’on m’apporte mon pantalon marron !»
    Ensuite, tu connais l’histoire comme moi, il s’est fait arraisonné… Depuis, assailli par une peur viscérale, il n’a jamais repris la mer, et erre de tavernes en tavernes sur le vieux port…

    BD : Pas mal, ton histoire. Mais encore une pirouette pour éviter de répondre à ma question.

    B : J’y viens, j’y viens, mille diou… La nuit est à nous, mille cambuses… Peut-être as-tu un peu faim ? Je peux te donner un peu de viande de tortue boucanée de ce midi… Et en attendant, vide donc ta chopine, par les grandes voiles… Ce rhum est mon préféré, il est brun et lourd, chargé de parfums capiteux comme une île tropicale sous le vent, mille canons… Donc, cette histoire est le point de départ. Ensuite, je suis allée rencontrer Boid’Ébène, qui je ne te l’apprends pas, pratique le Vaudou, madre de diou… Je lui ai demandé s’il n’avait pas une amulette ou autre objet de ce genre pour ne pas être perméable aux superstitions, puisque j’avais juré de ne jamais y être soumise… Je lui ai échangé contre une de mes petites inventions, mille cyclones… Seulement Boid’Ébène, vu son grand âge, s’est encore mélangé les mirettes… Il m’a refilé cette petite amulette, qui pend toujours autour de mon cou, mille mousquets… Elle renferme un cœur de crabe, ce qui est rare, très rare…Eh bien, en fait d’amulette contre les superstitions, c’est une amulette de téléportation… C’est bien pratique également ! Aussitôt un combat terminé, hop, je me téléporte ici, nom d’un mollusque… Ce qui n’est pas sans impressionner mes adversaires, et qui, du coup, a fait naître une légende, dont, ma foi, je ne suis pas mécontente… Par conséquent, je l’ai gardée, et ce boit-sans-soif de Boid’Ébène n’en a rien su… J’ai tâtonné un peu, au début, car je ne connaissais pas le mot à prononcer… Cela m’a d’ailleurs joué quelques tours pendables, en plein combat, je me suis retrouvée assise dans la Taverne des Fées, laissant choir mes compagnons d’infortune, à bord du « Fairies of the Night » - quelle cagade, mille diou ! Va leur expliquer que ceci n’était pas volontaire… Mais c’est une autre histoire, je te la raconterai une autre fois, quand tu auras deux minutes à me consacrer… J’espère ne pas avoir été trop bavarde, sabre de diou…

    Mais je suis contente de voir que tu as bien tenu la marée, cette fois… Tu as été on ne peut plus attentive… Mille diou, cela vaut bien que l’on arrose ça, tu dois goûter ce rhum-là, celui-là, je ne le sors qu’en bonne et vivante compagnie… Bouche Dorée… Bouche Dorée… Mille tonnerres, elle s’est endormie… Je suis vraiment imbuvable…

    (Dernières pensées avant de sombrer dans l’inconscience bienfaitrice du sommeil dissipateur de la gueule de bois : ne jamais, jamais, jamais accepter de boire en compagnie de Blackie… super confortables, ces peaux de mammouth… quelle fameuse soirée… faut que j’envoie un perroquet prévenir Saramuch que je serai en retard de quelques jours… zzzzz… ah, j’oubliais de vous le dire, tout est noir chez Blackie, sauf son âme… zzzzzzzzzzzz)

    BoucheDoree

     


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