• Pages 4 à 8 : Challenger n°1


    DONG DONG DONG !!!

    Cornes de bouc ! Si une âme bienveillante pouvait trucider le sale rat qui s’obstine à sonner à cette heure indue (en pleine sieste, hein, quel monde) le ***-bas de combat... combat… Cornes de chèvre et autres caprins (ça doit être le ragoût de cabri aux dix épices qui me fait chevroter), je savais bien que j’oubliais un truc important ! Oui, oui, ça me revient maintenant, le combat, bougre de pirate, le combat.
    Quelle chance de m’être écroulée ivre morte sans me désaper hier soir, allez, ma chemise est assez longue, elle est à peu près boutonnée, manquerait plus que l’adversaire aperçoive mes avantages naturels, hardi les enfants et haut les cœurs, parée…

    - A l’abordage ! Hurlais-je en jaillissant de la cabine, telle une furie encore pâteuse des excès de la veille.
    - Pitaine, me souffle mon second, là, c’est nous qui sommes abordés, sauf vot’ respect, ma grande.

    Euh ? Il me tue, ce mec, toujours à pinailler sur les détails. D’accord, il connaît son métier, mais il m’a donné un surnom ridicule (non, non, je ne le révèlerai pas, même contre une barrique du meilleur rhum de Marie-Galante, louanges au Seigneur pour cette invention).

    - Débordons-les ! Hurlais-je aussi sec.
    - Ouais ! Hurlent mes racailles de matelots.

    L’enthousiasme juvénile de ces grands gaillards me réjouit toujours autant. C’est simple, la piraterie, au fond : plus tu gueules n’importe quelle imbécillité, pourvu que tu mettes le ton, plus t’es suivi. C’est comme ça que j’ai gagné ce navire, d’ailleurs, j’ai crié « à la mutinerie » plus fort que le capitaine précédent criait « soyons raisonnables et discutons ». Faut dire, eh eh, que j’ai les organes pour ça ! Il faut reconnaître qu’être une femme dans un monde de brutes épaisses a certains avantages qu’il serait dommage de ne pas exploiter.

    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p>- Ouais !

    Il est temps de réagir, le pont est envahi par des brutes chevelues empestant le bouc (décidément, le ragoût de cabri me poursuit). D’un geste décidé, je me rue au combat le sein nu… non, l’âme nue… non plus, lame nue, voilà, lame nue et embroche le premier voyou qui me croise, pour son bien triste malheur.

    - Argh ! Fait le quasi mourant en s’écroulant dans un bain de sang (et qui va nettoyer le pont ? Pas moi, suis capitaine, eh eh)
    - Bouchette… gémit-il.

    Bouchette ? Satané vingt dieux de rhum ! C’était idiot de vouloir tenir tête hier à Blackie, ma compagne de taverne, c’est toujours moi qui paye les tournées et elle qui reste debout, chancelante mais debout, le lendemain les bouteilles s’entrechoquent dans ma pauvre tête et je ne sais plus qui je tue.

    - Désolée, Pitt, mon brave Pitt, fidèle second, point ne t’avais-je reconnu dans le feu de l’action. Navrée, oui oui.
    Par chance personne n’a rien vu, et comme il vaut mieux que cet accident reste caché, pour ne pas nuire à ma réputation, croyez bien que ça m’a grave déchiré le cœur d’agir ainsi mais la raison d’état ne se commande pas, je le finis discrètement.
    - Compagnons ! Hurlais-je (à force je vais finir enrouée, mmmh, le bon grog que ça va me valoir). Regardez ce que ces lâches ont fait à Pitt !

    Et je brandis le corps sans vie du colosse… disons qu’avec mes 55 kilos toute mouillée je me contente de le désigner.
    Pas possible de reproduire les imprécations qui suivent, ça hérisse mon côté poli. Déchaînés, mes p’tis gars foncent dans le tas à coups de massues, de sabres, de mousquets et plein d’autres horreurs.

    <o:p>

    Le temps que la situation se décante, je retourne à la cabine me jeter un rhum épicé pour me ragaillardir, passer un pantalon et mes bottes (parce que les échardes dans les pieds, ça fait horriblement mal), et quand je reviens, mazette, tout est fini. Ça c’est du pirate, brother ! Garanti à peu près dégrossi, tenant le mauvais vin, sans état d’âme superflu (voire sans âme, superflue ici-bas, les temps sont durs à qui aime la poésie et les perroquets gazouillant sous la mâture). Ma lame est encore maculée du sang de Pitt, je verse un peu de vin sur ma chemise, histoire d’avoir l’air dans le coup, que ne faut-il point faire pour assurer sa pitance, une chemise en soie qui vient de France, et remets pied mal assuré sur le pont.

    - Vive la capitaine ! Rugissent-ils.
    - Merci, les enfants, pillez en face et ensuite vous me nettoyez ce bazar, on risquerait de se faire mal.
    - Ouaiiiisssss ! Vive la capitaine !

    Et puis allez mettre le souk en face, que ma pauvre tête puisse résonner tranquillement dans le hamac qui me tend un oreiller salvateur, mmmhh…. Pas d’autre combat avant demain, merci.
    Quelques heures plus tard, pour fêter cette énième victoire en mer, je leur laisse quartier libre le soir avec quelques conseils pour leurs têtes creuses.

    - Hardi, les gars, rhum à gogo, étripez un poil, forniquez un brin, et rentrez pas trop tard, demain, c’est le concours.

    Le lendemain, c’est le concours. Fraîche comme une rose, mise en plis du dernier chic, et robe rose à volants qui volette au vent des alizés... mais non, je rigole, une robe, franchement !
    - Je déclare ouvert le concours pour l’élection du fidèle second ! Les vaillants volontaires se départageront par duel à mort au couteau, cinquante mètres nage libre coursé par requin et le premier au poste de vigie sans s’écraser sur le pont.
    Top chrono !

    <o:p>

    Etonnamment, les candidats ne se pressent pas, les gaillards triturent leurs ceintures d’un air faussement détaché ; pourtant, ça a des avantages, le poste de second, quand on ne se met pas stupidement en travers de la route mal débourrée de sa capitaine.

    - Hum ?
    - Capitaine ?

    Nakunoeil se présente, gratouillant son bandeau, et vraisemblablement envoyé par ses petits camarades parce qu’il passe pour mon chouchou. Bon, un joli marin rasé de près par Wilkinson, l’affûteur du bord, avec une cicatrice discrète et un bandeau noir, ça m’émeut toujours, je suis une sentimentale, parfois même devant un verre de rhum je…

    - Capitaine, on voudrait dire, les potes et moi, comme qui dirait, le couteau, le requin et tout ça… c’est carrément dangereux.
    - On ne plaisante pas avec les traditions, matelot. C’est ainsi depuis la nuit des temps, on choisit le plus courageux et pas le plus intelligent pour ne pas faire d’ombre au capitaine.
    - Ben ouais mais personne n’a envie de se faire ouvrir le ventre, on a pensé un peu, et on a eu une idée, si on peut causer, là, ce serait cool. Avec vot respect.

    Un arrangement me va pile poil, déjà je n’aime pas trop la vue du sang, et puis avec ces idioties de traditions, on perd de l’effectif bêtement. Il y a quand même quelque chose qui me tracasse, dans cette histoire : ils sont tous propres comme des drakos neufs, les chemises tombent impeccables blanchies au savon noir, les chevelures sont soigneusement tressées et les armes brillent sous le soleil radieux (le soleil est toujours radieux dans ces sôteries).

    <o:p>

    - Et cette idée fumeuse ?
    - Un concours du plus beau porté de collants… souffle Nakunoeil.

    Du plus beau porté de collants ??? Pourquoi pas ? Il faut un peu d’originalité, sinon on verse dans la monotonie, et quand on s’ennuie, on picole sec, et je ne vous fais pas un dessin. Légèrement estomaquée mais consentante, j’assiste à un défilé de pirates mâlement moulés dans des collants écarlates, priant le ciel que cette élection ne fasse pas les gorges chaudes à la prochaine réunion des Sanglants Pirates Sans Pitié, confrérie à laquelle je viens juste d’adhérer (en soudoyant par des moyens inavouables le grand chef sioux, mais quand on est une femme dans un monde de brutes, etc). On choisit à l’unanimité un grand diable d’Irlandais à la barbe rousse de trois jours, ma foi, pas mal bâti, le bougre – pour être second, hein, qu’allez-vous penser ?

    - Tu t’appelles comment, mon brave ?
    - O’Clooney, balbutie-t-il avec un accent mal défini.
    Oh, un timide, c’est-y pas mignon tout plein…
    - Viens dans ma cabine, que je t’explique tes nouvelles fonctions. C’est assez long.

    Faut savoir être ferme, quand on est capitaine (second aussi) !
    Oh oh… ça ne fait pas trois jours qu’on a quitté le port et voilà qu’une délégation m’attend sur le pont quand je quitte ma cabine sur le coup de midi… enfin, une délégation, s’entend, tout l’équipage est là, et ils ne portent plus de collants immaculés, ce coup-ci, le soleil radieux s’est fait la malle, O’Clooney est épuisé par ses nouvelles charges, bref ça commence mal. Je dirais même qu’il y a dans l’air comme une fragrance de mutinerie.

    BoucheDoree, challenger n°1<o:p></o:p>

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