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Pages 13 à 16 : Challenger n°3
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Attablée devant un vieux rhum aux reflets mordorés, jattendais dans cette taverne presque déserte le jeune pirate qui allait macheter à prix dor lobjet que je faisais sauter dans ma main gauche, la face II du dé divoire de Davis Cur-de-Pierre une contrefaçon, sans doute, mais quimporte, si la crédulité obscurcit la raison. Vous qui fréquentez ces salles mal éclairées, à lheure où baissent les conversations et se révèlent de noirs secrets, vous avez sans doute entendu parler de cet homme qui conquit un jour un trésor fabuleux quil enfouit dans une île connue de lui seul ; aucun de ses compagnons ne revint au port. On dit aussi quà sa mort il laissa à chacun de ses fils (tous de mères différentes, comme il se doit pour un tel homme) un indice qui le mènerait à lor, la face dun dé divoire : celui qui réunirait les six faces trouverait le trésor des galions espagnols.
Mais lhistoire de Davis, celle que je veux vous conter ce soir, en attendant Sullinde, est celle dun pirate qui chercha la rédemption, et je ne sais sil la trouva.
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Il sappelait Davis Stoneheart, Davis Cur-de-Pierre. Je vous laisse imaginer de quelle glorieuse façon il gagna son surnom Il était Anglais par sa naissance hasardeuse, bien quil ait renié lidée de patrie, né de la rencontre éphémère dun marin à la bourse bien remplie et dune fille dauberge de Portsmouth qui rêvait dailleurs ou de pièces sonnantes : le marin ne passa pas la nuit, emporté par cette sorte de fièvre du jeu qui existe sous toutes les latitudes et qui parfois se conclut de sanglante manière ; quant à la fille, sa joie disparut quand elle fut grosse, et lenfant grandit dans la rue, sans affection excessive, et de ruelles animées en traverses mal fréquentées il échoua dans le port, écoutant les histoires des marins jusquà pouvoir sembarquer.
<o:p>Oui, Davis avait une belle âme de pirate : trucidant sans excès ; buvant plus que de raison les soirs où elle ségarait ; perdant sans ciller son or sur une table de jeu car un de ses hommes guettait linfortuné gagnant au seuil de la taverne ; pillant sans vergogne les bateaux quil arraisonnait ; ne supportant guère la contradiction et tranchant dans le vif de son interlocuteur sil se montrait trop insistant et sil parlait parfois de Dieu, ce nétait certes pas dans ses prières. Toutes qualités qui faisaient de lui un marin à la main sûre et un capitaine compréhensif.
Mais ce jour-là, Davis était furieux. Il avait abordé un galion espagnol quon lui avait promis chargé dor à nen plus flotter que par miracle ; en fait dor, il navait trouvé que des bibelots destinés à de belles Madrilènes exilées. Le navire ne transportait que les femmes et les enfants des soldats installés en une lointaine colonie ; pour cette inutile conquête il avait perdu trois hommes de LAbsolution. Le capitaine et les derniers marins survivants ne passèrent pas lheure. Quant aux passagers les femmes implorèrent miséricorde, mais lon sait que Dieu est sourd aux prières de ses enfants. Il serait néanmoins absurde de nier le bien-fondé de la religion, car le Diable, lui, répond toujours et pour linstant dansait une sarabande effrénée dans le crâne du capitaine désappointé.
On rejeta les corps à la mer qui se teinta aussitôt de sang. LAbsolution, toutes voiles dehors, séloigna du lieu du massacre tandis quon jetait de grands seaux de mer sur le pont souillé.
- Holà ! cria la vigie.
Quelques pirates quittèrent leurs tâches, alertés par le cri de leur compagnon. Lhomme regardait vers larrière. Clignant des yeux face au soleil couchant, ils contemplèrent la mer, pétrifiés et incrédules, comme face à une apparition.
- Appelez le capitane ! ordonna le second.
Davis rejoignit à son tour le château arrière, encore sous le coup de sa déconvenue.
<o:p>Ses hommes ne pipaient mot, attendant son jugement. Lui navait connu que la violence et les mensonges et il ne croyait quen lor quil dérobait avant denvoyer un navire par le fond. Il ne croyait pas en Dieu peut-être au Diable et ses hommes croyaient en lui.
- Vous la voyez, Captain ? Hasarda le mousse.
- Je la vois.
Comme eux, il contemplait lincroyable tache rouge bordée décume qui suivait leur sillage, la même qui avait entouré, lespace de quelques instants, le navire espagnol lorsquils avaient jeté les corps par-dessus bord, suscitant la frénésie des requins.
Davis contempla les visages pétrifiés et éclata de rire. Il les accabla dinjures : ah, vraiment, ils étaient de fiers gaillards, eux qui tremblaient devant une tache comme des enfants devant une goutte de sang ! Voulaient-ils des sels ? Portaient-ils cotillons et dentelles ? Quavaient-ils donc au ventre ? Ils se tenaient comme des curaillons devant les statues de leurs saints ! Davis conclut sa harangue en distribuant force coups et regagna sa cabine, trouver consolation dans une flasque de vieux rhum, le seul butin de la maudite carcasse qui reposait désormais au fond des mers ; les Espagnols, vraiment, tous menteurs et sans le sou !
Mais Davis sétait trompé en croyant lire de la peur dans les yeux de ses matelots : la peur a un objet précis, elle sincarne en quelque chose contre lequel on peut lutter, elle se noie dans une bouteille suffisamment remplie ou sous les jupons dune fille. Et quelle faute craindraient-ils, eux qui les avaient presque toutes commises ? En vérité, si lâme dun pirate ne ressent plus guère les troubles de ce monde, leur cur fut saisi par le silence, léblouissant silence qui suit la curée, le terrible silence qui guette le soldat lorsque les mousquets se taisent, le silence qui ne le quittera plus et limpatience, elle, les quitta, le désir impétueux de courir les mers, lenvie du port et qui sait même, pour certains dentre eux, lamour quils auraient pu rencontrer
<o:p>La tache les obsédait. La vigie ne la quittait plus des yeux, les hommes abandonnaient leurs occupations sans savoir pourquoi. Ils néchangeaient plus de plaisanteries grivoises ou de paroles grossières sur le pont, ils ne spéculaient plus sur la cargaison du prochain galion quils aborderaient. Le capitaine avait mis en perce le dernier tonneau, et léquipage avait bu, mais quand les gobelets se fracassèrent par terre, aucun nétait ivre. Leurs regards, toujours, exprimaient cette obscure crainte, teintée ce soir-là dune mélancolie inconnue. Lhomme de quart lança son verre à moitié plein dans la mer et sécrasa sur le pont.
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Irrité, Davis appela lérudit de léquipage, le sommant de trouver une explication autre que divine ou surnaturelle sinon il le payerait de sa tête. Le garçon, qui avait de vagues notions scientifiques, parla de lattraction du sillage de LAbsolution sur le sang des passagers ; leau de mer et le sang constituaient des corps étrangers qui ne pouvaient se mélanger, le second restant à la surface et suivant le courant créé par le navire. Il jura quen traversant la zone de courants chauds la tache serait aspirée par un courant plus violent. La zone se trouvait à deux jours de navigation.
Durant ces deux jours, léquipage fut comme ployé dans lattente dun châtiment quil ne pouvait éviter. Accoudés au bastingage, le regard absent, les marins répondaient invariablement à leur capitaine excédé :
- Jattends, Capitaine.
Ce quils attendaient, ils lignoraient. Le nouveau guetteur sauta aussi et malgré les menaces personne ne consentit à remonter là-haut. Davis exécuta deux hommes, pour lexemple ou pour apaiser son esprit désuvré et vaguement anxieux. A lapproche de la zone chaude, la tache louvoya. Celui qui avait exposé cette théorie annonça que le lendemain elle aurait disparu.
Redemption, Challenger n°3<o:p></o:p>
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