• Pages 12 à 15 : Les récits de Tom le Barman



    Après une fin de soirée, bien arrosée, il s’entend, j’aidais Tom à remettre de l’ordre à la Taverne du Cheval Blanc. Depuis la disparition, ou la fuite de Myra pour être plus précise, les taches et les tâches s’amoncelaient ! Tom étant un vieux comparse, je lui donnais volontiers un coup de main, d’autant que l’accès à sa cave était par la suite illimité. Néanmoins, j’espérais vivement une recrue, car certes le rhum était des meilleurs mais mes mains étaient fatiguées des défis ménagers ! Tom, fatigué de voir sa vaisselle cassée devait en venir au même raisonnement…
    Heureusement, il restait encore de quoi servir une pinte quand nous nous installâmes dans notre petite alcôve. Je regardais Tom pensivement, avec une question sur les lèvres qui me taraudait depuis un certain temps.

    « Pourquoi un type costaud comme toi a-t-il donc choisi de tenir une auberge et de rester terrien ? Avec ta carrure, tu aurais pu amasser une fortune sur les mers ! Tu aurais été crains et respectés de tous, non pas que tu ne le sois pas actuellement, mais bon, tu vois ce que je veux dire ! »

    Une fois n’est pas coutume, Tom pris le temps avant de répondre à ma question. Il ne semblait pas chercher ses mots, mais perdu dans ses pensées, comme à la recherche d’un vécu lointain. Des crispations sur son visage indiquaient que ses pensées n’étaient pas toujours joyeuses. Enfin, il me regarda, se leva pour aller prendre une bouteille d’eau de vie, code secret confirmant l’importance du sujet, se rassit, nous servi un verre et enfila le sien, comme s’il s’agissait d’un vulgaire jus de fruit.

    "T’ai-je déjà parlé de mon père, Gallinette ? Non, visiblement… Faut dire qu’j’en cause rarement du vieux, un brave homme mais une fin tragique. S’appeler Thomas, donc l’fait qu’on m’a nommé Tom… M’enfin ses amis l’appelaient plus souvent « Qu’un-Œil » pour des raisons pratiques, vu qu’il n’en avait qu’un mais aussi parce qu’avec celui qu’il lui restait il était la meilleure vigie de tous les équipages de l’île ! »

    Je manquais de lâcher mon verre ! Le père de Tom, vigie, donc pirate ! Bien sur que j’avais entendu parler du fameux Qu’un-Œil, à qui chaque nouveau mousse amoureux des hauteurs voulait ressembler et dont les anciens parlaient toujours avec une once de respect et de crainte dans la voix.

    « Mouais, tout le monde connaît qu’Un-Œil aujourd’hui ! Même si personne ne connaît la sinistre fin qu’il a connu… Et tu d’mande comment qu’avec un père aussi fameux, je me suis pas de suite mis à la piraterie ! Ben parce que son histoire m’a appris qu’les pirates n’ont rien d’hommes d’honneur… Déjà qu’un père pirate, on l’voit pas beaucoup. Toujours sur les flots, sans se demander si la femme et l’enfant vont bien. Qui ramène une fois l’an, quelques joyaux histoire de faire le prince, mais qui s’demande jamais comment qu’on sait nourri le reste du temps. L’était pas méchant, l’pensait pas à mal et je crois même qu’il nous aimait beaucoup, mais la mer est une maitresse captivante. »

    Il se servit un énième verre. Son regard était vague. Mais les mots continuaient à sortir comme s’ils avaient été ressassés trop longtemps, puis enfermés dans un petit coin de son esprit, si étroit, qu’ils n’avaient plus qu’une envie, sortir bien vite de là… Je me tenais silencieuse sur ma chaise et ne l’interrompais pas. Trop peur qu’il s’arrête et se taise à jamais.

    « Ouais. Tu vois le Cheval Blanc, c’est ma mère qui l’a finalement ouverte ! Un travail de dur labeur, pour son fils… Elle ne sait jamais plainte. Et elle l’aimait Qu’Un-Œil. Toujours là pour lui. Quand il est mort, elle a pas pleuré. Elle a pas vécu non plus. Comme si elle avait décidé de reprendre tout ce temps que la mer lui avait pris et de profiter là-bas d’un maximum de temps avec son pirate… Je crois qu’elle le comprenait mieux que moi, le désir de liberté du vieux, et qu’elle l’aimait aussi pour ça…M’enfin, jusque là rien que du classique non ? »

    « Une vie de marin, on ne peut plus ordinaire et la vie de famille qui en découle. Sur que quand on est gosse, on lui en veut au vieux, et qu’on s’dit qu’on fera jamais ça à une femme et à ses petits… Mais peut être que parce qu’il était mon père, j’ai eu envie moi aussi, les années venant de mettre le large, de trouver un paquet de drakos enfouis sous la mer, et de faire en sorte que la mère est plus de souci à se faire, qu’elle ait juste à s’asseoir au coin du feu et à jouer avec les petits que j’aurais… Bref j’allais embarquer avec un équipage de jeunes mecquetons tout naïf comme moi, quand j’ai appris qu’Un-Œil l’était mort… Je dois dire que si à l’époque j’avais pas encore compris le bonhomme, ca m’a fait un certain choc. S’était noyé en mer, lors d’une grosse tempête, que m’a dit le vieux Crock qui était v’nu m’annoncé la nouvelle, tout tremblant… »

    Tom serra si fortement son verre qu’il le cassa net en deux. Il prit le mien et se resservit. A ce rythme là, faudrait bientôt que j’aille chercher une nouvelle bouteille. Il me regarda et me fit un petit sourire.
    « Et ben, c’est toujours celui là que t’aura pas cassé Gallinette ! On mettra celui-là sur la note du patron ! Allez te bile pas… Ca a pas l’air mais ça fait du bien d’en causer. Tu pourras même le publier dans ton canard, si tu trouves l’histoire intéressante. Bref, le vieux était mort. Et pour éviter trop de chagrin à la mère, j’ai été récupérer sa solde et ses affaires, dans sa cabine. Son cap’taine, et ses équipiers m’ont servi un beau discours sur son courage et sur la vigie qu’il avait été. Du vent, comme je l’ai découvert plus tard. Dans les affaires de qu’Un-Œil y avait un vieux coffre que je lui avais fabriqué quand j’avais 6 ans. Ca m’a secoué de voir qu’il l’avait toujours. C’était notre secret à nous deux quand j’étais mioche. Une cache secrète dissimulée au fond. Rentré à la taverne, je l’ai ouvert. Dedans, il y avait 20 lettres, dix de quand j’étais bambin, et dix de lui qu’il m’avait jamais envoyé Il me racontait la mer et ses mystères. Les îles parfumées, les tempêtes rageuses, les sirènes enjouées. C’était des morceaux d’sa vie que j’avais entre les mains. Y avait deux autres trucs plus étranges.»

    «Un parchemin codé et un bout de papier froissé avec un grand point noir de cire au milieu. Je suis allé voir le Crock, pour qu’il m’en dise plus. J’ai jamais vu un homme devenir aussi pâle que quand je lui ai montré la marque sur le papier. « C’est pas bon, c’est pas bon, ça… » Qu’il répétait « la Marque » tout en tournicotant sur place. Il lui a fallu deux grogs, pour m’expliquer que la Marque était un message envoyé par les hommes d’un équipage à l’un des leurs afin lui faire comprendre qu’il allait payer de sa vie le crime qu’il avait commis. Je me demandais ce que le vieux avait bien pu commettre comme trahison indigne pour que les matelots de son navire l’ai jeté par-dessus bord comme l’avait plus que fortement soutenu Crock. Les codes, c’était pas son truc, mais il m’a dit que Rob lui saurait. J’ai pas montré la Marque à Rob, ça doit rester dans la famille ce genre de truc. Il a mis un mois à déchiffrer le code, puis un jour il s’est présenté à moi. Emu, m’a dit que mon père était un honnête homme, que maintenant qu’il avait voyagé pendant mes jeunes années, il se devait de revenir pour que je puisse à mon tour partir, et que comme ça il pourrait enfin s’occuper à plein temps de la mère… Qu’il allait présenter sa démission au capitaine et qu’il débarquerait pour de bon à son prochain retour… »

    Je ne pu m’en empêcher « Mais pourquoi la Marque ? »

    « Un de ces trucs de pirates. Les matelots et surtout le capitaine que j’ai molesté pour avoir la réponse, s’en souviennent encore. Tu vois le capitaine et les hommes, ils ont pas cru le vieux quand il leur a annoncé la raison son départ. Ils ont pensé qu’il voulait les lâcher pour un autre équipage. Alors, ils l’ont passé par-dessus bord pour que son bon œil aille pas servir quelqu’un d’autres »

    Il se leva et me dit qu’il était grand temps de fermer. Je ne pouvais que comprendre pourquoi il n’avait plus jamais quitté la terre ferme et pourquoi bien que travaillant avec et pour des pirates, il lui fallait beaucoup de temps pour accorder à certains sa confiance…

    Saramuch


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