• Pages 12 à 14 : Les récits de Tom le barman


    Quand on a passé moult heures à nettoyer le pont, à briquer chaque cm de bois pour que celui-ci brille et évite le cas échéant la glissade inopinée du canonnier au moment de faire feu, suite à la présence d’une mare de sang, ou chose plus fréquente à bord du BW Clutch, une mare de bave de Slurp, on n’a qu’une seule envie, aller se poser dans sa taverne préférée, siroter un bon alcool et écouter un récit de son barman préféré ! Ne dérogeant pas à ce petit plaisir de fin de journée, je me mettais en route pour la Taverne du Cheval Blanc taraudée par une question existentielle : le samedi était-il le jour du bar en croûte, ou celui des patates au lard ? Mais arrivée devant mon QG, surprise, je le trouvais fermé ! Or, comme vous le savez Tom n’est pas homme à fermer boutique inopinément… Je passais par l’arrière et me servait de la petite clef cachée dans… Vous ne pensez quand même pas que je vais vous indiquer comment accéder à la meilleure réserve de rhum du pays ?!?

    Les cuisines et la Grand Salle étaient plongées dans l’obscurité. Pas âme qui vive dans ces deux pièces d’habitude animées. Les bouteilles derrières le bar étaient nettoyées et rangées avec amour (par catégorie et ordre décroissant d’année, Tom est assez pointilleux là-dessus), ce qui suggérait qu’il n’était pas parti précipitamment. Aucun son ne venait non plus des chambres à l’étage, ce qui commençait sérieusement à m’inquiéter. Je décidais d’aller vérifier celle de Tom des fois que celui-ci ait succombé à une attaque en pleine nuit. Peut être que la curiosité était un moteur plus véridique que le premier énoncé… Quoiqu’il en soit je montais au premier étage et me dirigeais vers la dernière porte. J’entrais sur la pointe des pieds, précaution commune pour éviter à quiconque d’être surpris quand on pénètre dans son antre. La pièce était vide de présence humaine mais on sentait l’âme de son propriétaire…
    Il s’agissait en fait de deux pièces se faisant suite, la première servant de bureau et la seconde de chambre à coucher. Je commençais ma fouille par la chambre, qui semblait une cachette plus propice aux secrets.

    Le lit était simple bien que recouvert par un généreux plaid. En dessous, point de moutons, mais un bâton lourd et bien fait qui devait suffire à faire comprendre à n’importe quel intrus qu’il ferait mieux de se retirer céans… A côté de la couche, il y avait un large coffre en bois et un placard en chêne massif. Le placard contenait de nombreuses fripes, quelques vêtements plus chauds et deux paires de chaussures. Une vieille caisse, posée sur la plus haute planche de l’armoire, attira mon regard. Contrairement au vieux tricorne qui lui tenait compagnie et qui avait dû appartenir au père de Tom, le bien connu Qu’un-Œil, aucune poussière ne semblait s’être déposée sur la caisse. Je la posais sur le lit, et après un moment d’appréhension l’ouvrait avec précaution, pas vraiment sûre d’être autorisée à faire ce que je faisais.
    Le contenu était protégé par une fine étoffe en soie, sur laquelle était gravé en fil d’or « Marina ». Je souriais en me remémorant la femme de Tom. Une belle blonde tout en finesse, dont le sourire faisait craquer n’importe quel marin bourru. L’étoffe sentait encore son parfum. Marina était une tavernière comme on n’en fait plus, toujours accueillante avec le bon mot. Mais attention il ne fallait pas lui chercher des noises. C’était sa taverne, et elle vous sortait le non-désiré par les fesses en moins de deux. J’étais jeune mousse quand je l’avais rencontrée, et elle m’avait appris bien des choses. Notamment comment boire comme une femme qui dirige des hommes et les différentes senteurs des rhums. Elle me manquait souvent. Maudite épidémie.
    Sous l’étoffe, je trouvais quelques lettres de Marina, son alliance, une perle que Tom lui avait offerte pour leurs 15 ans de bonheur, comme elle disait. Il avait aussi les chaussons et une mèche de cheveu de la petite Jenny, qui était partie en même temps que sa mère. Ainsi qu’un petit cheval en bois parsemé de peinture blanche qui devait être l’œuvre de la petite. Le reste de la caisse contenait les lettres du père de Tom et la fameuse marque noire qui avait été cause de sa mort. J’essuyais une larme qui roulait sur ma joue. Beaucoup de malheurs pour un seul homme.

    Je rangeais avec précaution la caisse et ouvrait le coffre. Grand fatras de n’importe quoi. Un assemblage hétéroclite de vieux livres de cuisine, d’étiquettes de bouteilles, de tire-bouchons de toutes sortes. Un peu comme si Tom y avait entreposé tout ce qu’il faisait de lui un tavernier.
    Le reste de la chambre ne réservait plus d’autres surprises. Je décidais d’explorer le petit bureau. Enfin ce qu’il restait d’apparent sous les livres de comptes (tous très bien tenu, car les chiffres dit souvent Tom, ce n’est pas comme les lettres, c’est indispensable de savoir jouer avec pour réussir sa vie et éviter les arnaques). Les lignes et les lignes de chiffres courraient sur les pages. Un petit carnet noir retint mon attention. A l’intérieur, je trouvais la jolie lettre de saint Valentin que Tom avait reçue plus une seconde qui semblait être un brouillon de réponse avec une écriture plus qu’approximative. Il faudrait que j’aide Tom sur ce point sans qu’il sache que je me doutais de ses projets ! Le reste du carnet me fit frémir car il contenait une liste des meilleurs clients de Tom et de leurs ardoises. La mienne faisait peur à voir. Je reposais le carnet en cherchant à chasser ces chiffres de ma mémoire !

    En redescendant dans la Grand salle, je trouvais Tom en train d’étudier un nouveau cocktail. Il haussa un sourcil en me voyant descendre, et me fit un grand sourire : « Et bien Gallinette, on a fait un petit somme à l’étage en attendant mon retour. Le marché du printemps m’a pris plus de temps que prévu. Mais j’ai réussi à négocier un joli lot de liqueurs. Et de quoi nous faire un bon repas ce soir. »
    Je respirais un grand coup. Tom ne m’avait visiblement pas entendue sortir de sa chambre. Je passais derrière le bar et l’aidais en rangeant les bouteilles, tandis qu’il me décrivait la foire du printemps et les diverses affaires qu’il y avait fait. Au moment où je quittais la taverne après un repas délicieux, il me glissa une dernière petite phrase : « Et ne t’inquiète pas pour ton ardoise. Les chiffres je les note dans le carnet mais les amis sont toujours mes invités… »

    Saramuch


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